Le contexte récent au Québec a permis à des milliers de travailleurs de tester le télétravail. Mais, avant même la crise de la COVID-19, ces modalités de travail avaient gagné en popularité; et certaines entreprises avaient même opté pour un virage « 100 % télétravail » pour leurs employés, comme l’agence de communications B-367.
C’est une décision qui peut paraître radicale, mais qui vise avant tout à résoudre les difficultés à recruter de bons candidats, selon Guy Bolduc, président de B-367, située à Belœil. « Il nous faut offrir l’environnement et les conditions de travail tant désirés par ces professionnels de qualité tout en assurant la viabilité financière de l’entreprise dans un milieu très compétitif », dit-il.
« C’est un mode de travail basé sur la gestion de la productivité du travailleur et non sur sa présence au travail », rappelle José Lemay-Leclerc, président de Télétravail Québec, une association spécialisée en solutions de télétravail. Les entreprises entièrement en télétravail sont rares et il serait surprenant, selon lui, que les travailleurs québécois se lancent en masse dans le télétravail, même après la pandémie de la COVID-19. Plusieurs voudront poursuivre l’aventure, c’est certain, mais à « temps partiel », c’est-à-dire en mixité avec du temps de présence au bureau.
Un modèle pour tous ?
Vouloir n’est pas toujours pouvoir, c’est pourquoi le télétravail n’est ni pour tous les travailleurs, ni pour tous les gestionnaires.
Travailleurs
Les outils sont pourtant à portée de souris — Zoho, Flowfit, Slack, Zoom, etc. — et permettent aux membres d’une équipe d’être en contact quotidien et de gérer leurs tâches. « Mais plusieurs veulent conserver un lieu d’échanges informels permettant l’acquisition de savoirs tacites, un lieu de socialisation et d’apprentissage collectif », dit Réal Jacob, professeur honoraire à HEC Montréal.
Il y a aussi des types de travailleurs pour qui ce mode est improductif. « Ceux qui ont des difficultés à se structurer auront des problèmes à découper le travail en étapes concrètes », explique Julie Bourbonnais, psychologue organisationnelle et associée chez Hors-Piste.
Gestionnaires
Tous les patrons ne sont pas faits pour le télétravail non plus. « Il faut faire confiance et savoir décrocher… Les friands de la microgestion s’en rendraient malades », lance Guy Bolduc. Les indicateurs de rendement devront aussi être adaptés. « Dans l’avenir, je vais évaluer mes professionnels selon leur capacité de compréhension du mandat, le travail accompli et le temps requis pour le faire », ajoute le président de B-367.
Dans un avenir rapproché, selon le professeur Jacob, les organisations devront d’ailleurs trouver comment préparer leurs gestionnaires à « gérer » ces télétravailleurs. « Ils doivent évoluer d’une logique de processus vers une logique de résultats, par des attentes signifiées en termes de résultats plutôt qu’en termes de comportement et de présence », dit Réal Jacob, en précisant que la tâche ne sera pas facile.
Enjeux et défis
La distance aura toujours de l’importance, et c’est pour cette raison que les mesures pour mobiliser les troupes et nourrir un sentiment d’appartenance deviennent des enjeux essentiels. Les rencontres sociales sont courantes, mais il y a plus à faire.
Selon Julie Bourbonnais, il ne faut pas minimiser « l’impact de se voir ». « Il faut des points de contact hebdomadaires de visu, pas seulement par texto ou par courriel », indique-t-elle. Deuxièmement, il faut réussir à recréer, en mode virtuel, ce que l’on retrouve en présence de l’équipe : agenda, ordre du jour, plaisir, objectifs. « La synergie d’équipe se crée avec un but commun et par les liens créés, c’est pourquoi il faut prendre le temps de nourrir autant l’aspect organisationnel que l’aspect émotif », dit Julie Bourbonnais.
Des défis se posent aussi pour les gestionnaires actuels, notamment à l’égard de l’évolution professionnelle des télétravailleurs. « Comme ils sont autonomes et indépendants, ce sont souvent des gens très performants. Or, ce sont aussi ceux qui ont le moins accès aux promotions, car ils ne développent pas assez de relations politiques dans l’organisation en n’étant pas sur place », souligne Réal Jacob.
L’État pourrait également donner un coup de main en instaurant un cadre réglementaire. Comme le télétravail chevauche les sphères privée et professionnelle, il y a des règles à mettre en place et qui concernent les assurances en cas de panne ou d’accident, ou les coûts d’aménagement d’un bureau à la maison, par exemple.
Tout cela sans compter les défis liés à la confidentialité et à la sécurité des données et des informations qui peuvent voyager du bureau à la maison.
Et, comme le remarque José Lemay-Leclerc, « avec ce printemps québécois en plein télétravail, il faudra sérieusement réfléchir au droit à la déconnexion » !