Une organisation qui laisse le pouvoir à ses employés et tente d’aplanir la hiérarchie ? Bienvenue dans le monde de l’entreprise « libérée », une formule qui commence à faire des adeptes, ici comme ailleurs. Exemples inspirants.

En 2017, Stéphane Bernier sentait qu’il arrivait à un tournant dans sa carrière. Vingt ans après avoir lancé Effenti, une firme spécialisée en TI de Québec, l’homme d’affaires était à bout de souffle. S’intéressant au concept de l’entreprise libérée, il décide alors de franchir le pas. « Depuis, j’ai trouvé mon vrai rôle, qui est d’accompagner les employés, d’établir des stratégies et de gérer les finances », constate-t-il. C’est qu’en offrant plus de pouvoir à son équipe, les décisions ne se prennent plus uniquement dans son bureau.

Abolir les structures permet de mieux répartir la pression entre la direction et les employés, explique Philippe Mast, CRHA, cofondateur de CORTO.REV. « Le dirigeant continue de développer une vision pour l’entreprise, mais plutôt que d’avoir un seul patron à la tête du navire, on mise sur les forces des membres de l’équipe, sur l’intelligence collective du groupe. »

Les employés fonctionnent donc en cellules autonomes, ajoute-t-il. C’est le cas chez Effenti, où il n’y a plus de cadres intermédiaires, mentionne Valérie Marier, associée principale. Dans ce nouvel organigramme, chaque équipe est menée par un « capitaine », qui « n’est pas là pour avoir du pouvoir sur les gens, mais qui a plutôt pour rôle de guider et d’accompagner les autres ». « De plus, les capitaines sont élus par leurs pairs pour des mandats de deux ans », décrit-elle.

Partage équitable des bénéfices et possibilité de devenir actionnaires font également partie des mesures mises en place chez Effenti. La PME mise également sur la transparence et sur la gestion participative, essentielles dans une entreprise libérée. « Dès que nous avons un projet ou que nous amorçons un changement, on le soumet aux équipes concernées et on reste ouvert aux idées qu’ils nous apportent », explique le fondateur. Ce faisant, on stimule la motivation et l’implication des employés. « Quand on gère sous un mode participatif, on peut avoir l’impression de faire un grand détour avant d’arriver à destination. Mais, à la fin, les résultats sont beaucoup plus riches », analyse Valérie Marier.

Recrutement et salaire

Chez Coboom, une firme de services-conseils pour les PME qui a inventé le concept d’entreprise « responsabilisée », on a poussé l’idée jusqu’à impliquer les employés dans le recrutement de leurs futurs collègues. Les meilleurs candidats y sont rencontrés par les membres de l’équipe, qui ont le choix final sur la recrue. « Comme la personne ait été sélectionnée par ses pairs, ils la prennent immédiatement sous leur aile et ça crée un lien d’attachement, une proximité familiale qu’on n’avait pas avant », explique Catherine Dubé, CRHA, cofondatrice de l’entreprise.

Depuis 2018, Coboom a également mis en place une politique de rémunération… autonome. « Aujourd’hui, nos employés réalisent leur propre auto-évaluation, la font approuver par leurs pairs, puis se positionnent dans la grille salariale et obtiennent un salaire en conséquence, décrit Catherine Dubé. Ce n’est pas une augmentation dictée par un supérieur, mais par leurs compétences, approuvées par leurs pairs. » Autre avantage : les travailleurs ont la possibilité d’ajouter des semaines de vacances en prenant des congés sans solde illimités. L’entreprise a d’ailleurs embauché une ressource supplémentaire pour suppléer à ces absences.

Impacts sur les ressources humaines

Ces façons de faire qui permettent à Coboom de déjouer la pénurie de main-d’œuvre. Car s’il était difficile pour la PME de recruter avant cette transformation, la firme a maintenant plusieurs candidatures en banque. Même son de cloche chez Effenti, qui embauche beaucoup par bouche-à-oreille. « Ce type d’entreprise crée de la valeur et diminue le taux de roulement, fait valoir Philippe Mast. Un de mes clients qui a instauré ce système dans les TI a questionné ses employés et, même en leur offrant une augmentation de salaire de 20 %, ils ont indiqué qu’ils ne voudraient pas quitter leur poste. Cela rend le milieu de travail plus humain et les travailleurs plus heureux.»

Malgré tout, ce genre d’environnement ne convient pas à tous puisqu’il comporte son lot d’ambiguïtés, nuance Philippe Mast, car qui dit plus d’autonomie dit aussi moins d’encadrement. De plus, les projets se mènent parfois en groupe avec des collègues qu’on connaît moins, ce qui peut être stressant pour certains. « C’est certain que, quand nous avons adopté ce changement, il y a des employés qui ont décidé de quitter l’entreprise, se rappelle Stéphane Bernier. Toutefois, trois ans plus tard, nous commençons à en récolter les fruits et à voir une diminution de moitié du taux de roulement. »

Somme toute, l’aventure semble donc concluante.

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