Dans le contexte organisationnel actuel, où se côtoient la volatilité, l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté (VICA), les dilemmes éthiques et la prise de décision éthique deviennent courants et provoquent de la confusion et de l’anxiété. Les gestionnaires ne doivent alors pas perdre de vue le contexte organisationnel, mais surtout, ils ne doivent pas se perdre eux-mêmes dans ce type de contexte.

Des risques et des conséquences non négligeables

Les risques éthiques sont bien présents pour les gestionnaires, et ces risques provoquent des conséquences négatives. Prendre en compte ces risques est positif pour l’identité professionnelle de ces gestionnaires. Les recommandations présentées subséquemment illustreront les conséquences positives lorsque les gestionnaires sont aptes à analyser les dilemmes éthiques, puis à réaliser des décisions éthiques. En contrepartie, une gestion inefficace des prises de décisions place les gestionnaires dans des situations très inconfortables. Lors de nos recherches, plusieurs gestionnaires partageaient leurs difficultés (par ex. : problèmes d’insomnie et de fatigue) et leurs émotions ressenties (par ex. : honte, culpabilité, tristesse, colère, angoisse, frustration, sentiment d’incompréhension, sentiment d’abandon) lors du processus de prise de décision éthique.

Ce processus se conçoit en deux temps : la prise de conscience du dilemme et le choix de la décision. Les émotions ressenties lors de la prise de conscience du dilemme créent des inconforts et des malaises d’ordre psychologique : cela va de la tristesse à l’angoisse. Deux émotions semblent particulièrement ressortir des autres lors de nos recherches auprès des gestionnaires : la honte et la culpabilité. Ces émotions dites négatives sont des ressorts pour la prise de conscience. La honte nous conscientise sur l’échec et remet en question nos valeurs dans la situation. Quant à la culpabilité, elle nous conscientise sur la portée de nos choix potentiels sur autrui. Ces émotions engendrent par ailleurs des difficultés de somatisation clairement exprimées.

Les gestionnaires au cœur de la vie organisationnelle

Lorsqu’il est question d’éthique, l’accent est souvent mis sur les hauts dirigeants. Il importe toutefois d’aborder les enjeux organisationnels sous l’angle des cadres intermédiaires, mais aussi, et surtout des supérieurs immédiats.

Ces gestionnaires se retrouvent régulièrement « entre l’arbre et l’écorce ». Ce sont eux « qui doivent composer le plus avec les contraintes humaines et organisationnelles tout en demeurant responsables de leurs actes » (Cherré, 2011). L’importance de la question éthique et celle de la décision éthique est qu’elles sont intimement liées à l’essence même de l’identité des personnes. Cela explique le fait que cet enjeu crucial doive être abordé avec les enjeux de santé mentale. Nous devons donc monopoliser à la fois la philosophie (pour le plan de l’éthique) et la psychologie (pour le plan de la santé et de l’équilibre des personnes). Comment, alors, les gestionnaires peuvent-ils conjuguer gestion complexe, décision éthique et maintien de leur identité? Nos recherches démontrent que le leadership authentique sartrien est particulièrement pertinent et qu’il répond à certaines critiques du leadership transformationnel, notamment par le principe de responsabilité personnelle.

Recommandations

Trois recommandations émergent de nos recherches auprès des gestionnaires : s’inspirer de la philosophie existentialiste, valoriser les valeurs humanistes et utiliser des stratégies correspondantes à la réalité organisationnelle et humaine.

S’inspirer de la philosophie existentialiste

L’apport de la philosophie en matière de gestion nous permet de penser hors de la boîte noire, c’est-à-dire de concevoir des réflexions créatives et originales. La philosophie nous apporte un support pour réfléchir sur le sens de l’acte et des choix dans la réalité humaine. En cette période d’instabilité et de remise en question de l’acte de travailler, nous comprenons que le rôle du gestionnaire a dépassé le cadre de l’exécution : on attend de lui qu’il devienne un conseiller sur le plan des valeurs et du sens que l’on donne à notre activité. Bref, on attend de lui qu’il devienne un agent moral pouvant éclairer le sens de nos activités professionnelles. Ces attentes sont lourdes à porter, mais elles sont directement liées à la réalité humaine et, plus spécifiquement, à la réalité humaine en entreprise.

Deux temps du processus de prise de décision éthique :

  1. Prise de conscience du dilemme éthique;
  2. Prise de décision.

Valoriser les valeurs humanistes, dont l’authenticité

La valeur de l’authenticité ne doit pas être perçue comme un effort de cohérence avec nos pensées et actes du passé, ce qui ressemblerait alors à de la sincérité. Être authentique, pour un gestionnaire, c’est chercher à se réaliser comme un professionnel libre, engagé et responsable envers son corps de métier et envers l’humain, et non se confiner strictement dans un comportement normalisé.

La valeur d’authenticité se comprend comme l’expression d’un dévoilement de sa personnalité dans un environnement complexe. Elle n’est pas donc figée dans le passé ou le présent par la recherche de cohérence stricte, mais elle se projette au-delà des difficultés. Ce faisant, ce type d’attitude valorise la création, la responsabilité et la générosité. Trois caractéristiques du leadership authentique s’en dégagent alors :

  • Une conscience lucide;
  • Une acceptation de ses responsabilités;
  • Une reconnaissance et un respect de la liberté d’autrui.

Le tableau ci-dessous recommande des actions pour mettre en œuvre le leadership authentique.

Caractéristiques du leader authentique Exemples d’application
Conscience lucide

 

  • Reconnaître les limites et les restrictions inhérentes à la situation (introspection et analyse approfondie de la situation)
  • Prendre en compte ses propres rôles et les rôles de ceux qui nous entourent
  • Réaliser, au besoin, un arbitrage intérieur
Acceptation de ses responsabilités :

  • Responsabilité imputable
  • Responsabilité sociale
  • Responsabilité émancipatrice
  • Prendre des décisions au mieux de ses connaissances et de ses valeurs
  • Devenir médiateur ou facilitateur
  • Permettre l’expression de la liberté des autres

 

Reconnaissance et respect de la liberté d’autrui, voire de la dignité d’autrui

 

  • Positionner l’humain au centre des décisions
  • Faire preuve d’empathie et de bienveillance

 

Utiliser des stratégies correspondantes à la réalité organisationnelle et humaine

Nos recherches ont également permis de dégager un certain nombre de stratégies utilisées par les gestionnaires en contexte de prise de décision éthique. Ces stratégies représentent des cures face aux risques d’atteinte de leur santé psychologique. De ces risques, nous pouvons avancer trois incidences sur la santé psychologique des gestionnaires : l’angoisse face à la perte de sens de leur travail, la souffrance psychique face aux conséquences de leurs décisions sur autrui, et une dissonance subie face à l’écart entre le discours éthique organisationnel et les attentes concrètes de la direction. Quant aux stratégies identifiées par les gestionnaires, l’encadré suivant les présente.

Stratégies utilisées par les gestionnaires en contexte de décision éthique

  • Augmenter son degré de liberté et son pouvoir discrétionnaire (par ex. : prendre des initiatives, proposer des solutions hors des sentiers battus);
  • Accroître graduellement son influence (par ex. : lors de réunions);
  • Élaborer des solutions créatives pour amener de la cohérence avec ses valeurs (par ex. : réaménager les tâches des employés);
  • Diagnostiquer la situation (par ex. : questionner, analyser les risques et les limites);
  • S’associer à des agents de changement (par ex. : leader du groupe);
  • Faire appel à son réseau de pairs (par ex. : partage des idées, identification de solutions, aide à la décision);
  • Préciser la pertinence du changement (par ex. : lors de rencontres, à partir de données collectées).

En conclusion

Le leadership authentique sartrien apparaît satisfaisant par la prise en considération de plusieurs caractéristiques, mais il existe un envers à la médaille. Ce leadership, émanant de l’éthique existentialiste, est une morale « tough » qui comprend une dure réalité où les gestionnaires sont tenus responsables de leurs choix moraux, en particulier la notion d’être-pour-les-autres.

De plus, si les gestionnaires reconnaissent les autres comme des êtres ayant leur propre liberté, cela se traduit par des modes de gestion moins traditionnels et moins axés sur le contrôle, donc plus axés sur une véritable autonomisation des acteurs concernés dans la relation de leadership.

Références bibliographiques

  • CHERRÉ, Benoît (2011). « Décision éthique des managers et le sens du travail ». La Revue des Sciences de Gestion, no 83, p. 93-107.
  • LEMIEUX, Nathalie, Benoît Cherré, Geneviève Hervieux et Mariline Comeau-Vallée (2018). Les dilemmes éthiques lors de changements organisationnels multiples et simultanés. Dans Lauzier, Martin et Nathalie Lemieux (dir.), Améliorer la gestion du changement dans les organisations. Vers de nouvelles connaissances, stratégies et expériences. Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 83-105.

Voir aussi