Quand vient le moment de prendre une décision et de faire cheminer le plan d’action devant la concrétiser, on aimerait bien pouvoir s’appuyer sur un large consensus, qui ferait en sorte que tous tirent dans le même sens, avec conviction. Mais il faut le reconnaître : obtenir un tel consensus s’avère un souhait bien ardu, voire impossible.
Avec Sandra et Ahmed, tous deux ingénieurs, Liliane, diplômée en commerce, a mis sur pied il y a tout près de 4 ans une PME manufacturière. Les affaires se sont bien développées depuis, l’entreprise étant très présente dans tout l’Est du Canada et comptant aujourd’hui une trentaine d’employés.
Les trois propriétaires, tous actifs dans l’entreprise, rencontrent toutefois quelques difficultés de gestion qui ne manquent pas de les préoccuper. Bien que s’efforçant de consulter le personnel sur les grandes décisions qui les concernent, ils se disent surpris et étonnés d’observer que les procédures et les plans d’action établis ne génèrent pas les résultats attendus.
Les oublis et les erreurs sont fréquents, les coûts de non-qualité sont préoccupants, les retards de production sont fréquents, quelques clients allant même jusqu’à mettre fin à leurs relations d’affaires… Il n’est pas rare d’observer des « rencontres de corridors » impliquant quelques collègues qui discutent à voix basse et donnent l’impression de changer de sujet quand l’un des propriétaires s’approche. On sent un malaise et on n’aime pas cela. On a bien tenté à quelques reprises de questionner les employés, lors des réunions d’équipe, mais on sent que ceux-ci ne livrent pas le fond de leurs pensées.
Un coup de pouce
Un mandat visant à les aider à identifier les problèmes et à leur proposer les correctifs nécessaires a été confié à un conseiller externe. Ont suivi des rencontres individuelles avec un échantillon représentatif d’employés pour tenter de comprendre ce qui peut expliquer cette situation. Très sommairement, la dominante qui en ressort ressemble à ce qui suit : les gens apprécient être consultés sur un grand nombre de sujets, mais on n’a pas souvent l’impression que les opinions, avis ou suggestions émis sont pris en considération. Conséquemment, le personnel endosse plus ou moins les décisions qui sont prises, y opposant des réserves plus ou moins marquées qu’ils n’osent pas dévoiler au grand jour.
Les méthodes de gestion participative classiques ne semblent pas résoudre ce genre de problème. On le reconnaît de plus en plus, une décision n’est viable que si elle tient compte des limites de ceux et celles qui vont vivre avec ses conséquences. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui : l’acceptabilité sociale.
Dans ce contexte, le mode de prise de décision démocratique n’améliore pas les choses, car il laisse toujours une minorité insatisfaite. Chercher le consensus (tout le monde d’accord) est pratiquement impossible. Alors, que faire pour nous assurer que nos décisions obtiennent l’acceptabilité sociale recherchée?
La solution proposée : l’approche sociocratique.
La sociocratie est un mode de gouvernance qui encadre et soutient les intentions de la gestion participative classique en s’appuyant sur trois règles naturelles et puissantes :
1. Le consentement, ou « zéro objection » :
Qui remplace la règle de la majorité ou le consensus. C’est en fait la reconnaissance du fait que chaque individu a naturellement ses propres opinions et que celles-ci, aussi différentes soient-elles, méritent d’être exprimées, entendues, et prises en compte. Il s’agit également de cette capacité de reconnaître des zones de tolérance, dans lesquelles une opinion peut différer d’une autre sans pour autant s’y opposer ou y faire objection majeure. On retrouve d’ailleurs le même phénomène en physique, en mécanique et autres domaines. En mécanique, sans tolérance, pas de mouvement. Et en management comme en science, sans tolérance, pas de décision viable; la ligne droite n’existe pas. Une bonne décision devient alors celle qui respecte les limites (les tolérances) de ceux qui devront vivre avec elle.
Ainsi, après avoir débattu des points de vue différents et avoir examiné avec respect les arguments qui les soutiennent, les membres d’une équipe arrivent plus facilement à endosser des décisions pour lesquelles ils reconnaissent ne pas avoir d’objection majeure. Il y a donc consentement.
2.Le cercle de décision :
C’est la mise en place du lieu où cette équivalence des membres d’une équipe peut s’exprimer ouvertement et positivement, éliminant de ce fait la crainte pour celui dont l’opinion diffère d’être critiqué ou mis à l’écart. Le cercle de décision vient se juxtaposer à la structure pyramidale. Il s’en distingue toutefois en ce qu’il ne s’applique qu’à la prise de décision. La structure pyramidale, inspirée de l’organisation militaire, demeure l’outil approprié à l’étape de l’exécution des décisions qui ont été prises et des opérations courantes. Il convient donc de retenir que les deux concepts se complètent, chacun jouant un rôle différent et spécifique.
3.Le concept de double lien :
S’avère un aspect tout aussi intéressant du cercle de décision. Désigné par consentement de tous les membres d’une équipe, soit le chef et les autres membres, et ce, à la suite d’une élection ouverte et sans candidat, ce nouveau membre de l’équipe vient siéger au cercle supérieur avec le chef de l’équipe. Il vient ainsi faciliter la communication ascendante, consolidant ainsi la légitimité des décisions qui sont prises à ce niveau.
C’est aussi la reconnaissance du fait que si tous les membres d’une même unité ne sont pas égaux (le chef conserve toujours plus de pouvoirs que les autres membres), ils sont à tout le moins équivalents dans le processus de prise de décision.
Les effets observés
Liliane, Sandra et Ahmed ont endossé ces recommandations et donné aux membres de leur équipe la formation de base requise pour vivre l’expérience de cette gestion participative enrichie. Dix mois plus tard, le recours à cette approche de gouvernance produit des résultats fort intéressants. Selon leurs observations :
• les rencontres de cercles produisent des décisions plus claires et de meilleure qualité parce que tous les points de vue pertinents et les renseignements connexes sont entendus et pris en compte;
• l’engagement à exécuter les décisions est réel et leur mise en œuvre plus rapide parce qu’elles sont prises avec le consentement des personnes ou des parties qui doivent les exécuter;
• l’organisation apprend plus rapidement et gagne en agilité parce que la transparence, la compréhension et la vitesse de circulation des informations s’accroissent entre les niveaux hiérarchiques de l’organisation;
• le nombre de réunions diminue en raison d’une meilleure distinction entre ce qui doit être décidé dans le cercle et ce qui peut être délégué. Qui plus est, la méthode de travail utilisée dans le cercle, une fois bien rodée, écourte la durée des réunions! Le problème de la « réunionite » trouve un remède grandement apprécié!
Autant de facteurs qui contribuent à la mobilisation des effectifs, favorisant de ce fait la productivité et la compétitivité de l’entreprise. Plus encore, ce modèle semble vouloir contribuer, par les valeurs qui le soutiennent, à l’attraction et à la rétention des compétences dont l’entreprise a besoin.
Pour en savoir davantage : https://fr.thesociocracygroup.com/