Tous les jours, parfois sans même nous en rendre compte, nous négocions. Nous négocions du temps pour livrer un dossier, une collaboration pour amorcer un projet, un partage de ressources avec un collègue, une répartition de tâches au foyer, l’heure de rentrée pour un ado, etc. Bref, si vous y pensez bien, tout, ou presque, est sujet à négociation lorsqu’il y a au moins deux parties qui sont impliquées. Et négocier « c’est l’art de s’entendre entre parties ». Bien sûr, certaines choses ne sont pas négociables, comme l’honnêteté et l’intégrité, votre santé mentale et physique ou le respect, mais pour le reste nous souhaitons généralement nous entendre avec les autres.

Je veux, je veux, je veux…

Or, la majorité des interactions que nous avons au travail ou au foyer sont des négociations qu’on peut ramener à la simple expression : « Je veux ». En général, cela se passe plus ou moins bien, car la négociation suppose qu’une des deux parties doive céder quelque chose à l’autre, et cela mène parfois à des situations conflictuelles.

La négociation : un processus de découverte… de l’autre

Chris Voss, un ex-agent du FBI chargé de négocier dans des situations critiques et auteur du livre Never Split the Difference, écrit que les gens qui voient la négociation comme une bataille d’arguments sont vite dépassés par ce qu’ils « veulent ». Selon lui, « la négociation n’est pas une bataille, mais un processus de découverte. »

Les gens ne sont pas rationnels

Prendre la direction à sens unique du « Je veux » implique généralement la notion de rationalité. C’est de se fier au pouvoir de son idée, de son charisme ou de sa crédibilité, pour obtenir ce que l’on veut. Une telle approche fonctionne rarement dans un environnement le moindrement démocratique et contribue à diminuer notre impact personnel. Si les organisations ne sont pas réellement des démocraties, en général, l’informel joue toutefois un plus grand rôle dans leur fonctionnement que le formel, comme l’a bien décrit Henry Mintzberg dans Le pouvoir dans les organisations.

C’est ainsi que des gestionnaires, croyant leur plan d’action parfaitement sensé, veulent immédiatement passer à l’action et s’offusquent que leurs idées qu’ils disent « évidentes » ne soient pas retenues ou soutenues. Ils s’imaginent alors jouant dans une bataille entre leur « bon sens » et « l’irrationalité » des autres.

Or, la psychologie cognitive nous a appris qu’en tant qu’êtres humains nous sommes de manière prévisible irrationnels ou perçus comme tels. Pour être efficaces dans nos démarches, nous devons alors considérer cette irrationalité comme un fait rationnel, donc constaté à répétition, et développer une approche adaptée qui relève clairement des habiletés politiques.

Mettre ses habiletés politiques à l’œuvre

Samuel B. Bacharach, l’auteur de Get Them on Your Side et The Agenda Mover, suggère deux étapes importantes avant de pouvoir raisonnablement penser passer à l’action (voir figure).

Premièrement, celle qui consiste à établir la cartographie politique de son environnement, en devenant, de fait, un analyste politique, dans le but explicite d’anticiper les objectifs secrets des autres, d’interpréter leurs intentions et réactions et d’évaluer ses zones potentielles de soutien. Cette étape exige un bon sens de l’écoute, la capacité de poser des questions calibrées débutant par « comment », ou « quel », par exemple, et une bonne préparation afin de se mettre en position de comprendre la vision du monde des autres.

Deuxièmement, l’habileté à faire avancer les choses dépend largement du degré de crédibilité qu’un professionnel possède auprès des autres, c’est-à-dire la perception que ceux-ci ont de sa capacité à implanter le programme ou le projet proposé. Si on ne perçoit pas le professionnel ou le gestionnaire comme une personne crédible, il lui sera alors difficile de le mener à bien.

Figure - Exercice stratégique de ses habiletés politiques

Avant de pouvoir implanter quoi que ce soit, le gestionnaire a besoin d’avoir des gens qui le soutiendront activement en bâtissant des coalitions.

En effet, au fur et à mesure que son initiative progressera, le gestionnaire ou le professionnel devra inévitablement défendre ses actions devant des critiques, devant ceux qui résistent et même devant ses alliés moins convaincus. Pour clarifier l’objectif de ses actions, il devra expliquer sa position par le biais de conversations informelles, en taillant son message en fonction de chaque membre de la coalition, selon sa connaissance de ce qui les mobilise ou les rassure.

Rien n’est acquis : il faut négocier

« Rien n’est jamais acquis à l’homme » écrivait le poète Louis Aragon, et sur un ton pessimiste ajoutait que « Le temps d’apprendre à vivre il est déjà trop tard. » Heureusement, dans notre monde, il est souvent possible d’obtenir ce que l’on veut. Il suffit de le demander correctement en étant ouvert à la négociation, car ce que l’on veut dépend habituellement de quelqu’un d’autre. La négociation comprend alors deux fonctions vitales : recueillir de l’information, selon le principe de découverte du terrain politique, et influencer le comportement des autres en fonction des principes d’empathie et de diplomatie, et ce, dans le cadre d’une coalition. Effectivement, cela exige un peu de travail et d’énergie!

Pour aller plus loin

  • Samuel B. Bacharach (2006). Get Them on Your Side. Avon, MA: Platinum Press.
  • Samuel B. Bacharach (2016). The Agenda Mover, Ithaca, NY: VBLG Books and Cornell University Press.
  • Yvon Chouinard et Nicole Simard (2016). Impact : agir en leader : inspirez, influencez, touchez. Montréal : Isabelle Quentin éditeur.
  • Henry Mintzberg (2003). Le pouvoir dans les organisations. Paris : Éditions d’Organisation.
  • Christopher Voss & Tahl Raz (2016). Never Split the Difference. New York: HarperCollins Business.

Voir aussi