À la suite de la légalisation du cannabis à des fins récréatives par le gouvernement canadien, les entreprises ont eu à préciser dans le cadre d’une politique les balises quant à la possession, la vente, la distribution, la consommation et le travail sous l’influence d’alcool, de drogues et de médicaments. Elles ont eu aussi à s’assurer de la rendre publique et elles devront l’appliquer et la faire respecter.
Préparation des superviseurs
Un des maillons importants du respect de la politique est le superviseur. Les superviseurs, en raison de leur contact quotidien avec les employés, sont à même d’observer des changements dans le comportement et l’attitude de l’employé. Cependant, ils peuvent être mal à l’aise d’intervenir auprès d’employés avec qui ils ont un contact régulier. Ainsi, il est important de leur rappeler leur rôle pour assurer un milieu sécuritaire pour tous et de les sensibiliser au message qui est envoyé aux autres employés s’ils n’interviennent pas auprès d’un employé qui effectue ses tâches avec les facultés affaiblies. Une formation à l’utilisation de la Grille d’observation de signes objectifs de facultés affaiblies ou de dépendance chez les travailleurs (préparée par l’AIDQ et disponible sur Internet) peut les aider à identifier les employés qui sont sous l’influence de substances psychoactives et à se sentir plus en confiance pour intervenir.
Planification de mesures d’accommodement
Selon l’Institut national de santé publique du Québec (2016), 81,9 % des Québécois âgés de 12 ans et plus avaient, en 2013-2014, consommé de l’alcool au moins une fois au cours de la dernière année. En ce qui concerne la consommation de cannabis, selon l’Institut national de la statistique du Québec (2016), en 2014-2015, 15,2 % de la population de 15 ans et plus avait consommé du cannabis, dont 38,4 % chez les 15-24 ans et 21,0 % chez les 25-44 ans.
Quant à la prévalence des troubles de l’usage d’une substance (TUS), terme utilisé dans le DSM-5 pour faire référence aux dépendances, elle serait (selon le DSM-5) de 8,5 % pour l’alcool chez les adultes de 18 ans et plus et de 1,5 % pour le cannabis (4,4 % chez les 18-29 ans).
Étant donné ces statistiques, il est judicieux pour les propriétaires et dirigeants d’entreprise de préparer leur intervention même en l’absence de cas révélés dans l’entreprise. Une réflexion sur les mesures d’accommodement et sur ce qui constituerait une contrainte excessive devrait être faite. Se familiariser à l’avance avec les services offerts par les centres de traitement facilite l’intervention lorsque nécessaire :
- Services offerts
- Durée du traitement
- Approche utilisée
- Services offerts en postcure et durée
- Présence ou non d’une liste d’attente
- Critères d’admission
Prévoir qui assumera les frais reliés au séjour dans un centre de traitement (assurances collectives, employeur, employé, syndicat si l’entreprise est syndiquée) de même qu’une procédure de retour au travail postcure facilitera la gestion de la situation.
En plus de publiciser sa politique, l’employeur doit faire connaître aux employés l’aide disponible si ceux-ci souhaitent cesser leur consommation de drogues ou d’alcool. Il faut donc s’assurer que les coordonnées du PAE sont affichées en évidence dans l’entreprise ou, si l’entreprise n’a pas de PAE, que le lien vers le Répertoire des ressources en dépendances, document disponible sur Internet, est accessible.
Évaluation de l’organisation du travail et de la culture d’entreprise
Les propriétaires et les dirigeants d’entreprise doivent aussi se pencher sur l’organisation du travail, certaines situations étant propices à l’apparition de problèmes de consommation, par exemple, des emplois qui impliquent des tâches répétitives et routinières, un niveau de stress élevé, des emplois où il est facile d’avoir accès à de l’alcool, de la drogue ou des médicaments. Ils doivent se questionner à savoir si les conditions de travail amènent les employés à utiliser des substances psychoactives afin de faire face à la situation ou encore à s’automédicamenter pour gérer les effets du stress et de la fatigue. Quels changements pourraient améliorer la qualité de vie au travail et créer un milieu de travail sain?
La culture de l’entreprise doit aussi être évaluée. Est-ce que la consommation d’alcool et de drogues est répandue et banalisée au sein de l’entreprise? Est-ce que la direction a fermé les yeux sur la consommation d’alcool et de drogues pendant plusieurs années?
Informer les employés des saines habitudes de vie peut permettre d’ouvrir le dialogue sur la question, d’autant plus qu’il est risqué de croire que parce que le cannabis est maintenant légal, il est inoffensif et sans impact sur la prestation de travail.
La légalisation du cannabis à des fins récréatives amène son lot de défis pour les propriétaires et dirigeants d’entreprise, mais crée aussi une occasion de revoir leurs pratiques de gestion des ressources humaines. Les spécialistes des ressources humaines peuvent leur apporter un soutien pour entreprendre une réflexion sur les pratiques de gestion des ressources humaines, former les superviseurs à reconnaître les signes et symptômes d’une consommation ayant un impact sur la performance au travail et à intervenir, suggérer des mesures d’accommodement, ouvrir le dialogue avec les employés et le syndicat, amener un changement de culture d’entreprise et revoir l’organisation du travail.
Sources
American Psychiatric Association (2015). DSM-5 – Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux. (traduit par M.-A. Crocq, J.-D. Guelfi). Paris, France : Elsevier Masson.
Association des intervenants en dépendance du Québec (2018). Grille d’observation de signes objectifs de facultés affaiblies ou de dépendance chez les travailleurs. Repéré à : https://aidq.org/wp-content/uploads/2018/03/GrilleObservation_Cannabis-ARemplir-FINAL.pdf.
Association des intervenants en dépendance du Québec (2018). Guide d’accompagnement de la grille d’observation de signes objectifs de facultés affaiblies ou de dépendance chez les travailleurs, page 17. Repéré à : https://aidq.org/wp-content/uploads/2018/07/Guide_utilisation_web.pdf.
Commission de la santé mentale du Canada. Entamer la conversation. La consommation problématique de substances et le milieu de travail. Repéré à : https://www.mentalhealthcommission.ca/sites/default/files/2018-05/substance_use_brochure_2018_fr.pdf .
Institut de la statistique du Québec (2016). L’Enquête québécoise sur la santé de la population, 2014-2015 : pour en savoir plus sur la santé des Québécois. Repéré à : http://www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/sante/etat-sante/sante-globale/sante-quebecois-2014-2015.html
Institut national de santé publique (2016). Portrait de la consommation d’alcool au Québec de 2000 à 2015. Repéré à : https://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/2137_consommation_alcool_quebec.pdf
Ministère de la Santé et des Services sociaux (2017). Répertoire des ressources en dépendances. Repéré à : www.msss.gouv.qc.ca/repertoires/dependances/
Crespin, Renaud ,Dominique Lhuilier et Gladys Lutz (2017). « Les fonctions professionnelles des consommations de substances psychoactives » dans Se doper pour travailler. Toulouse ,Érès, pages 205 à 223.