La pandémie de la COVID-19, et les bouleversements qui l’entourent, amplifie l’anxiété et élève le niveau de stress chez les employés et les gestionnaires. Comment composer avec ces sentiments, en limiter les effets délétères, voire en tirer profit?
D’entrée de jeu, Ghislaine Labelle, CRHA, rappelle qu’il est normal d’éprouver du stress et de l’anxiété, et que ces émotions ont des rôles positifs à jouer, puisqu’elles nous rendent alertes, attentifs à ce qui nous entoure et disposés à agir : « C’est un système d’alarme nécessaire de notre organisme, qui nous aide à faire face aux imprévus. »
Il faut s’attendre à ce que les employés expriment une large gamme d’émotions tout au long de cette crise, lesquelles s’exprimeront de diverses façons et à différentes intensités selon les personnes. Celles-ci n’ont cependant pas toutes la même aptitude à gérer leurs émotions et à s’adapter au nouveau contexte. Ces réactions sont légitimes, et les gestionnaires gagnent à faire preuve d’ouverture à leur égard.
Quand le stress et l’anxiété augmentent
À forte intensité, l’anxiété peut engendrer la désorganisation, voire la panique. « Lorsque l’anxiété est hors de contrôle, elle peut engendrer des comportements non adaptés à la réalité; c’est ce que l’on a vu avec les gens qui se sont précipités pour acheter du papier hygiénique [au début mars] », dit Ghislaine Labelle.
Les personnes anxieuses :
- Ont tendance à se faire un souci excessif pour eux-mêmes ou pour leurs proches;
- Sont en quête de contrôle;
- Se concentrent sur les scénarios les plus pessimistes;
- Croient qu’un malheur peut frapper à tout moment – et peuvent voir dans la pandémie une confirmation de la justesse de cette crainte.
Un stress important, quant à lui, entrave la concentration, nuit à la prise de décisions, peut causer de l’insomnie, des difficultés de digestion, de l’irritabilité et de l’impatience.
Les bonnes stratégies à adopter
comme gestionnaire RH
- Communiquer
Pour les dirigeants d’entreprise et les professionnels RH, la communication est un élément clé. « Il faut communiquer l’information disponible avec les trois C : de façon calme, continue et claire », affirme Ghislaine Labelle, pour qui il s’agit là de la meilleure approche afin de favoriser un sentiment de sécurité, de limiter l’anxiété et le stress.
Jean-Pierre Brun, CRHA, ajoute un quatrième C : la constance. Adopter une routine de communication est à son avis sécurisant pour les employés à qui ces communications sont destinées.
Il conseille aussi aux superviseurs de garder, près de leur poste de travail, la liste des noms et des coordonnées de tous les membres de leur équipe, et de s’assurer de prendre contact régulièrement avec chacun, en particulier les personnes qui semblent plus silencieuses.
- Écouter et répondre
Il faut aussi permettre aux travailleurs d’exprimer leurs préoccupations et de formuler leurs questions. On y répond ensuite de notre mieux – ne serait-ce que pour dire qu’on n’a pas encore la réponse et qu’on la leur fournira dès que possible.
- Créer des cellules de soutien
On gagne à former de petits groupes pour assurer des contacts réguliers entre les travailleurs de l’organisation afin de limiter le sentiment d’isolement, et de permettre aux personnes qui se sentent dépourvues de compter sur le soutien et l’influence positive de ceux qui sont plus en contrôle.
Les gestionnaires peuvent eux aussi avoir besoin de soutien et de coaching pour apprendre à gérer le télétravail à grande échelle et l’autonomie accrue des travailleurs. Il est bon de leur donner des outils à cette fin et de prévoir des moments d’échanges (par vidéo, par exemple) pour faciliter l’adaptation à ce nouveau mode de gestion.
- Donner l’exemple
« Comme gestionnaire, vous êtes le thermostat, alors vous devez être positif, adopter un discours de soutien et d’encouragement », fait valoir Jean-Pierre Brun.
- Offrir de la reconnaissance
Bons mots, émoticônes, GIF : même à distance, la reconnaissance au travail demeure essentielle, selon Jean-Pierre Brun.
- Préparer l’avenir
Pour chasser les idées noires et occuper les esprits, on peut prévoir des moments d’échange axés sur des thèmes constructifs : préparation du retour de tous au bureau, réflexion sur les stratégies à mettre en place dans l’après-pandémie, etc.
En associant dans de tels échanges des personnes anxieuses à d’autres qui sont plus optimistes, on tirera le meilleur des deux perspectives, l’attitude positive des optimistes et la conscience des obstacles potentiels qu’ont les anxieux.
Il est par ailleurs bon de se donner des objectifs à court terme, dont l’atteinte encouragera l’équipe.
Ce qu’il faut éviter
- Le déni et la banalisation
Si les dirigeants ou les gestionnaires prennent la situation à la légère, les employés risquent d’éprouver davantage d’insécurité.
- Le surplus d’information
Les personnes anxieuses, en particulier, devraient éviter d’écouter ou de lire sans cesse les nouvelles de la pandémie. Une mise à jour quotidienne suffit.
Jean-Pierre Brun met aussi en garde les gestionnaires contre l’excès de communication, sur les plateformes de travail en ligne, par exemple. Il ne faut pas perturber davantage le travail en bombardant de messages les employés.
Les bonnes stratégies à adopter à l’échelle individuelle
- Se concentrer sur les aspects sur lesquels on exerce un certain contrôle.
- Prendre conscience de ses pensées négatives ou irrationnelles, puis tenter de tourner son attention vers la perspective de la reprise des activités après la pandémie.
- S’offrir des plaisirs simples au quotidien et les savourer.
- Compenser la distanciation physique par des liens virtuels : prendre l’apéro ou le café avec des proches sur Skype ou FaceTime, par exemple.
- Profiter de ce moment de ralentissement ou de bouleversement pour se recentrer sur ses propres valeurs.
- Voir la pandémie comme une occasion d’accéder à des ressources insoupçonnées en soi.
- Faire appel au besoin au Programme d’aide aux employés afin d’obtenir du soutien.
Préparer l’après-pandémie
Ghislaine Labelle invite les professionnels RH à préparer le retour à des activités plus normales comme on le ferait pour « un retour au travail après une période d’invalidité pour cause maladie physique ou mentale ».
Voici des suggestions des deux spécialistes pour un retour réussi :
- Prévoir des activités d’accueil et de réflexion sur ce qu’on a tiré de cette période de tourmente, sur les bons coups pendant cette période, sur les apprentissages réalisés – en vue d’un prochain épisode du genre, mais aussi afin de mieux fonctionner au quotidien.
- Échanger sur ce que chacun a vécu de meilleur et de pire pendant la crise.
- Rassembler et réunir les équipes, voire les récompenser.
- Prévoir des rencontres individuelles d’accompagnement.
- Être conscients que même lors du retour au bureau, les activités ne reprendront pas « comme avant ». Les employés réclameront vraisemblablement plus d’autonomie et de flexibilité d’horaires, y ayant goûté pendant la crise.
- Demeurer vigilants : les travailleurs qui sont sous haute pression pendant la crise seront plus sensibles lorsque le calme reviendra, et seront à risque de flancher.
En terminant, il n’est pas nécessaire d’adopter toutes ces stratégies et suggestions. Il vaut mieux choisir celles qui nous viennent le plus naturellement, qui nous ressemblent le plus – tout en demeurant conscients que nous devrons fournir de grands efforts pour composer avec cette situation sans précédent.
Nous tenons à remercier nos deux experts pour leur participation à la rédaction de cet article.
Ghislaine Labelle, CRHA, Distinction Fellow
Psychologue organisationnelle et médiatrice accréditée
Groupe Conseil SCO inc.
Jean-Pierre Brun, CRHA
Expert-conseil associé
Empreinte Humaine, professeur retraité de management, Université Laval