Le processus d’évaluation de la performance, avec sa lourdeur légendaire, n’a plus la cote. Selon un sondage Léger, 59 % des employés ne trouvent pas l’exercice très utile. De plus, l’étude de Bersin par Deloitte indique que 70 % des entreprises américaines envisagent de revoir leur processus d’évaluation de la performance cette année. On demande aux RH de remplacer ce processus par de l’agilité et de la création de valeur ajoutée. Mais comment faire?
Les professionnels des ressources humaines et des relations industrielles peuvent se tourner vers différentes approches pour y parvenir. En effet, différentes avenues peuvent être empruntées afin de relancer le processus de gestion de la performance au sein de nos organisations. Cet article vous propose une manière d’y parvenir par le biais de l’approche des 5 C et quelques trucs du métier.
Principaux constats
Tout d’abord, trois principaux constats reliés au programme de gestion de la performance. Premier constat : au nom des meilleures pratiques, le processus d’évaluation de la performance a été gouverné par quelques règles universelles supposément garantes de qualité (documentation officielle des évaluations, processus systématisé pour tous, utilisation d’un formulaire propre à l’entreprise). Deuxième constat : le processus d’évaluation de la performance s’est complexifié avec le temps de façon à poursuivre plusieurs objectifs simultanément. Troisième constat : le processus d’évaluation de la performance fait l’objet de plusieurs critiques.
La lourdeur administrative au banc des accusés
Les gestionnaires s’évertuent à nous expliquer pourquoi il faut simplifier le processus d’évaluation de la performance. Parmi leurs principales revendications, nous retrouvons :
- Le processus annuel d’établissement des objectifs et d’évaluation ne reflète plus notre réalité évolutive.
- Le ratio employés/gestionnaire ne permet plus de consacrer quelques heures à chacune des ressources, surtout pas de façon condensée dans une seule période de l’année.
- La réalité du travail en équipe et le besoin de briser les silos ne sont pas servis par des évaluations individuelles.
- La capacité de donner constamment de la rétroaction en temps réel et celle de consigner le tout par écrit ne sont pas systématiquement liées; l’une n’est pas garante de l’autre.
- Le gestionnaire n’est pas toujours la meilleure personne pour apprécier le travail d’une ressource.
- Selon les auteurs Buckingham et Goodall, dans un environnement alimenté par une culture de performance générale, il n’est pas requis de se concentrer sur l’évaluation de la performance. L’avancement de carrière et l’évolution des forces naturelles de chacun ont plus d’incidence sur la performance de l’organisation au bout du compte.
- Le processus d’évaluation est inconfortable pour les gestionnaires. Il est ardu de passer les messages difficiles. Le processus ne facilite pas la chose.
- L’évaluation de la performance n’est pas un outil utile de gestion. C’est un outil de gouvernance créé par les RH qui sert d’autres maîtres que la création de performance.
Une solution en cinq C
Les 5 C : couper, classifier, considérer des alternatives, choisir et concevoir de nouvelles solutions.
Couper : héritier d’un passé qui a multiplié les raisons pour lesquelles nous évaluons la performance, le processus s’est alourdi et figé. Notre recommandation : couper, décortiquer les besoins auxquels répond le processus d’évaluation (consulter le tableau).
Classifier : classer en ordre d’importance les besoins (raisons) définis à l’étape précédente de façon à forcer la réflexion.
Considérer des alternatives (d’autres façons d’atteindre l’objectif) pour chacun des besoins.
Choisir : ne retenir que le ou les objectifs fondamentaux des besoins de l’entreprise.
Concevoir : imaginer un ou des processus souples pour atteindre les objectifs souhaités.
Des cas vécus
Certaines entreprises, bien que syndiquées, procèdent à des évaluations de la performance de leurs employés. Dépourvues de règles administratives, ces évaluations se limitent à l’essentiel : une discussion sans prise de notes entre le gestionnaire et l’employé où, sous forme de coaching, le supérieur fait part à l’employé de ses observations et propose des alternatives au besoin.
Résultat : aucun papier, aucune intervention des RH, aucun suivi possible, aucun processus disciplinaire (géré séparément). Simplement un gestionnaire, ses outils de coaching et un employé pendant 15 à 30 minutes de discussion pertinente.
10 trucs du métier pour moderniser un processus d’évaluation de la performance
- Formuler les questions d’évaluation par rapport au gestionnaire et non pas l’employé. Plusieurs auteurs ont contribué à démontrer que les réponses de l’évaluateur sont plus fermes et significatives lorsque celui-ci fait référence à son intention plutôt que se prononcer sur son appréciation de l’employé. Voici deux exemples :
- Exemple de question portant sur l’employé : « L’employé offre-t-il une performance de travail au-dessus de la moyenne des gens de l’équipe? »
- Exemple de question portant sur l’intention de l’évaluateur : « Si je pouvais choisir, voudrais-je toujours avoir cette personne dans mon équipe? »
- Axer d’abord les entretiens d’évaluation sur les forces des employés. Le sondage Gallup, conduit auprès de plus de 1,4 million d’employés, démontre une corrélation entre la performance des entreprises et le fait de permettre à leurs employés de travailler chaque jour dans ce qu’ils font de mieux.
- Ajouter des micro-discussions à votre processus annuel de gestion de la performance. Définir un cadre simple pour guider ces micro-entretiens : quelques questions structurantes, de la rétroaction et du coaching.
Exemples de questions structurantes simples :
- « Sur quoi travailles-tu présentement? » Question permettant au gestionnaire de s’assurer que l’attention de l’employé est orientée vers « les bonnes choses ».
- « Comment fais-tu (méthodologie, processus, étapes, plan de projet, collaborateurs)? » Question permettant au gestionnaire de valider ou de modifier les moyens utilisés pour mener le projet à terme.
- « Quelles sont tes forces (ce que tu fais de mieux) et son-telles mises à profit dans ce projet? » Question permettant au gestionnaire d’assigner les bonnes ressources aux bons projets et de veiller à la mobilisation des employés. De plus, le sondage Gallup démontre que les équipes où les employés confirment qu’ils ont la possibilité de faire chaque jour ce qu’ils font de mieux dans leur travail ont 50 % plus de chances d’avoir un bas taux de roulement. L’idée est de miser sur ce que font déjà les gestionnaires dans le cadre de leurs responsabilités de gestion, à savoir : discuter de leurs attentes, revoir les priorités et coacher au besoin.
- Tenir les micro-discussions de performance fréquemment (par exemple : mensuellement). Proposer des discussions d’une durée de 10 à 20 minutes, avec ou sans formulaire à remplir.
- Laisser au gestionnaire le choix de l’endroit où les micro-discussions auront lieu. Ultimement, seul le critère de confidentialité est important. Pour le reste, il importe peu que la discussion ait lieu en marchant, lors d’un trajet en voiture ou pendant la remise en marche d’une machine.
- Tant pour les micro-discussions que pour l’évaluation annuelle, développez vos gestionnaires pour qu’ils aient des discussions significatives avec leurs employés.La force d’une évaluation de la performance, c’est la discussion avec l’employé et non pas le processus d’évaluation, les questions obligatoires ou la cote finale.Vous considérez coacher ou offrir de la formation à vos gestionnaires pour accroître l’effet de leur discussion avec leurs employés? Concentrez votre appui sur le développement des compétences relationnelles et de communication, ainsi que sur le courage managérial.
- Laisser les gestionnaires gérer les augmentations salariales et la rémunération variable (primes) à partir d’une enveloppe globale.
- Nul besoin d’insister sur des objectifs SMART ni de forcer la courbe normale de répartition des performances. Les gestionnaires savent reconnaître les employés performants. Offrir de la flexibilité aux gestionnaires par rapport au moment où ils souhaitent discuter avec leur employé de plan de carrière ou de plan de développement. Certains gestionnaires voudront joindre ces discussions aux évaluations de performance. D’autres non. Les gestionnaires connaissent leur réalité d’affaires et les moments opportuns pour leurs actions. Au final, il n’y a pas d’inconvénient à laisser les parties décider du moment de la discussion, tant que cette discussion a lieu.
- Se questionner sur la nécessité du reporting aux RH. Considérer utiliser d’autres outils pour vous assurer que les gestionnaires tiennent les discussions avec leurs employés. À titre d’exemple, combler ce besoin d’information par un sondage de satisfaction auprès des employés et des gestionnaires. Vous pourrez alors évaluer l’assiduité des différents services (et gestionnaires).
- Faire confiance aux gestionnaires. Même s’ils ont été promus pour leurs habiletés techniques, en tant que gestionnaires dignes de ce titre, ils sauront gérer au mieux la performance de leur équipe. Si ce n’est pas le cas, votre enjeu réside dans les compétences en leadership de vos gestionnaires; il faut alors les accompagner et les former. Vous devez éviter l’erreur de compenser leurs faiblesses de gestion en imposant un processus inefficace d’évaluation de la performance à tous les employés.
Nous n’en avons pas fini avec l’évaluation de la performance. Aujourd’hui, on s’interroge sur le processus. Demain, on se demandera qui devrait évaluer. Et si ce n’était plus une responsabilité de gestion, mais celle de collègues ou de clients?
Références bibliographiques
- Sondage Léger, « Les travailleurs québécois et l’évaluation de rendement », mars 2015.
- Recherche réalisée par la firme Bersin.
- Marcus Buckingham et Ashley Goodall, « Reinventing Performance Management », Harvard Business Review, avril 2015, p. 40-50.
- Steven E. Scullen, Michael K. Mount et Maynard Goff, « Understanding the Latent Structure of Job Performance Ratings », Journal of Applied Psychology, vol. 85, no 6, 2000, p. 956-970 et « TMBC », The Idosyncratic Rater Effect, 2015. Marcus Buckingham et Ashley Goodall, op. cit., p. 47.
- Marcus Buckingham et Ashley Goodall, op. cit., p. 50.